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Jezabel Couppey-Soubeyran : « L’européanisation du marché est essentielle »

L’arrivée de nouveaux acteurs impulsera-t-elle une refonte en profondeur du secteur financier ou provoquera-t-elle une adaptation des modèles bancaires ?

Analyse de Jezabel Couppey-Soubeyran, professeur au sein de l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne, notamment en charge du master conformité bancaire.

 

L’un des débats caractérisant actuellement le marché bancaire est l’arrivée de nouveaux acteurs de type « fintechs », perçus de plus en plus comme des partenaires des institutions financières. Comment analysez-vous cette évolution ?

L’irruption des fintechs nous interroge bien entendu et nous conduit à faire évoluer nos enseignements et même notre offre de formation. Toute l’équipe enseignante en charge du Master Finance de Paris I Panthéon Sorbonne est d’accord sur le constat : une transformation est en cours, portée par une nouvelle vague d’innovations.

C’est sur l’ampleur de la transformation en cours et ses conséquences pour l’avenir du secteur bancaire que portent nos discussions et sur lesquelles existent des divergences : concrètement, assisterons-nous à une transformation en profondeur du secteur financier, une véritable mutation qui pourrait signer « la fin des banques » ? Ou bien, peut-on partir du principe que la banque saura s’adapter à ces mutations, comme dans les années 1980-1990 lors de l’essor des marchés de capitaux, que beaucoup voyaient comme les premiers signes d’une profonde désintermédiation alors que les banques s’y sont adaptées, y trouvant à la fois de nouvelles ressources et de nouveaux pans d’activité ?

 

Quelle est selon vous la propension des nouveaux acteurs à impulser une réelle transformation des modèles ?

Les fintechs, présentes dans toutes les activités du monde bancaire, du financement au paiement en passant par l’épargne, sont une force de désintermédiation. Pour autant, nous ne devons pas sous-estimer la capacité d’adaptation du secteur bancaire, qui représente une force malléable, une enveloppe mouvante de fonctions qui a connu différents cycles et a toujours su faire évoluer ses modèles du XIXème siècle à nos jours.

À côté de la constellation de fintechs présentes sur le marché, ce sont peut-être d’autres acteurs qui représentent un réel danger pour les banques à savoir les Gafa, dont la force est d’autant plus importante puisqu’à la différence des premières qui semblent finir souvent par s’adosser aux banques, ces acteurs revendiquent leur indépendance et velléité sur les marchés financiers.

 

Cette ouverture du marché est parallèle à un renforcement de la réglementation en matière de sécurité, notamment sur le domaine des paiements avec la problématique LAB-LAT et les sujets liés à l’authentification forte. Comment analysez-vous cette tendance réglementaire ?

Il s’agit d’un encadrement nécessaire et ce, même si les banques semblent toujours plus favorables à un encadrement spécifique aux nouveaux acteurs qu’à une législation plus généraliste les concernant au premier chef. Ajoutons que la période est actuellement marquée par des tensions sur la DSP2 autour du sujet des API, les banques souhaitant conserver la maîtrise de leurs données face aux fintechs voulant proposer leurs propres systèmes.

Si nous pouvons comprendre que les banques soient assujetties à de lourdes exigences en matière de sécurité, qui sont fondées en raison du contexte actuel notamment en termes de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, il doit à mon sens en être de même pour les autres entités. Cette situation va sans conteste renforcer la problématique de la conformité, réalité déjà anticipée au sein de notre Master puisque nous sommes approchés, de en plus, par des fintechs soucieuses du sujet compliance.

 

La politique réglementaire des institutions financières est de plus en plus tournée vers l’Europe alors même que l’échiquier se veut de plus en plus global. Quel sens recouvre selon vous l’européanisation du secteur dans des marchés de la banque et des moyens de paiement par essence transfrontaliers ?

L’européanisation du marché, à savoir l’harmonisation européenne des règles et usages, est essentielle et ce, même si les acteurs ne limitent pas leur activité au seul marché européen. En effet, la pérennité et la solidité du marché reposent en partie sur l’harmonisation des pratiques et des technologies au sein de l’espace européen. C’est une logique positive née de la monnaie unique et du passage à l’euro que les acteurs doivent poursuivre.

 

Concernant les innovations, comment percevez-vous les technologies émergentes de type blockchain, data et intelligence artificielle qui suscitent encore des questions réglementaires et éthiques ?

L’une des technologies qui semble très importante est la blockchain, même si elle reste pour l’instant encore fortement assimilée au sulfureux Bitcoin.

Plus généralement, même si les innovations que vous citez suscitent effectivement encore certaines interrogations, les leçons du passé nous poussent à observer les évolutions technologiques sans appréhension mais sans naïveté ; c’est ce que nous n’avons pas su faire dans les années 1980 avec le trading haute fréquence.

Nous devons, en effet, nous interroger sur l’aspect social de ces innovations et nous demander en quoi elles permettent à l’industrie bancaire de remplir au mieux ses fonctions envers l’économie.

 

Cette analyse s’applique-t-elle également au Bitcoin et aux cryptomonnaies, sujets suscitant certains débats sécuritaires et réglementaires au sein du marché ?

Le développement du Bitcoin et des cryptomonnaies est effectivement un sujet intéressant à observer. Contrairement aux phantasmes que ce phénomène suscite, il ne me semble pas être un modèle d’avenir pour une raison simple : la masse de serveurs et le côté énergivore de cette innovation en font un modèle peu écologique et trop peu en phase avec les défis à relever en ce domaine.

Je suis donc dubitative sur la capacité de cette innovation à s’installer durablement dans les usages et à supplanter l’euro, d’autant plus qu’il s’agit aujourd’hui essentiellement d’un outil spéculatif. D’où les alertes émises par les banques centrales qui, à mon avis, gagneraient à se montrer plus pédagogues et plus claires sur les conséquences qu’une diffusion des cryptomonnaies aurait sur le contrôle de la monnaie en circulation et la conduite de la politique monétaire.

 

La formation des prochaines générations de professionnels semble primordiale dans un contexte de réelle mutation des marchés de services bancaires et financiers. Quelles sont les principales interrogations de vos étudiants et quels principaux messages souhaitez-vous véhiculer et porter à leur attention ?

L’un des éléments qui nous semble fondamental est la sensibilisation des étudiants aux problèmes d’instabilité financière, en leur montrant à la fois quelles sont les sources d’instabilité et ce qui justifie la régulation.

Nous leur expliquons par exemple les dangers des secteurs bancaires très concentrés, dominés par une poignée d’acteurs, et en ce sens, l’arrivée de fintechs s’avère positive car elle représente une source de déconcentration qui sera au final bénéfique au consommateur final.

Nous partageons avec eux le constat objectif qui est que nous devons être conscients que les nouveaux services font aussi peser des risques sur les consommateurs : par exemple, sur une plateforme de crowdlending, un épargnant est seul responsable de la diversification de son portefeuille et son épargne n’est pas garantie.

Les fintechs obligent en tout cas les banques à remettre en question leur modèle d’activité, ce que même les réformes entreprises en réponse à la crise n’étaient guère parvenues à faire. Ces évolutions vont peut-être amener les banques à réinvestir dans les activités de banque de détail, qu’elles avaient ces dernières années relativement délaissé au profit de la finance de marché.

Les banques sortiront-elles affaiblies ou renforcée de cette nouvelle mutation, on ne le sait pas encore, mais transformées cela ne fait pas de doute. C’est bien cette transformation qu’il nous faut observer, analyser et expliquer à nos étudiants pour qu’ils soient capables de l’appréhender et d’y participer.

Propos recueillis par Andréa Toucinho, consultante moyens de paiement et services financiers, ADN’co